Servir l’espérance dans l’expérience présente de la vie conjugale et familiale

Revue théologique des Bernardins En vue du synode sur la famille, Janvier-avril 2015, p.15-30

Article:

De la prison de Tegel, en avril 1944, Dietrich Bonhoeffer plongé dans l’abîme de la guerre qui allait l’engloutir écrivait à son ami E. Bethge « … j’aimerais parler de Dieu non aux limites, mais au centre, non dans la faiblesse, mais dans la force, non à propos de la mort et de la faute, mais dans la vie et la bonté de l’homme ». Précieuse proposition pour préserver la parole chrétienne d’être le relais imaginaire des rêves déçus de l’homme faisant de Dieu le dépassement fictif de ses limites et de ses échecs. Le même Bonhoeffer, cependant, portant sa méditation quelques mois plus tôt sur le versant déceptif de la vie humaine – énumérant misère, souffrance, pauvreté, solitude, dénuement, et aussi expérience de la faute – apposait sur cette énumération l’affirmation que, « aux yeux de Dieu » tout cela signifie « autre chose qu’à ceux des hommes ». Car, ajoutait-il, « Dieu se tourne justement vers les hommes qui se détournent »[1]. [1] . Dietrich Bonhoeffer, Résistance et soumission, Lettres et notes de captivité, Labor et fides, 1973, p. 290 et 175. Ainsi, là où l’homme trébuche dans l’infidélité à Dieu ou à l’autre, Dieu n’est pas vaincu. L’Évangile ne peut ni ne doit cesser de retentir comme bonne nouvelle où se déploie la puissance d’un amour de Dieu indécourageable.

Ceci vaut éminemment de nos sociétés européennes en débat de contestation théorique et pratique avec la vision chrétienne de la conjugalité et de la famille. Si l’on conçoit bien la nécessité d’un discours ecclésial critique pointant les pièges de l’évolution des mœurs, il importe que reste audible une confiance, première condition à ce que la parole de l’Eglise retienne l’attention de nos contemporains. Mais ceci vaut aussi, à l’intérieur même de l’Eglise, pour des situations de faillite des couples, qui se multiplient. Là aussi, il n’est pas inutile de rechercher les racines de l’échec de tant de mariages sacramentels et de clarifier les conditions d’un accès véritable au sacrement, comme de rappeler la nécessité d’une formation des consciences et des volontés capables de s’affranchir des leurres d’un bonheur individualiste promu comme valeur dominante. Mais il reste cette évidence têtue que l’échec des couples n’est pas forcément réductible au péché comme acte de volonté mauvaise. Ainsi que ce constat nécessaire qu’il existe des cas où une relation conjugale devient mortifère, où une vie commune maintenue peut devenir une catastrophe, où le souci de l’avenir des enfants impose d’envisager la possibilité d’une nouvelle union. Ces réalités sont évidemment bouleversantes et ne sauraient être banalisées. Probablement sont-elles aussi difficiles à regarder en face et à gérer en plénitude d’esprit évangélique. C’est-à-dire en ne leur opposant pas simplement la raideur d’un rappel doctrinal ou, à l’inverse, les accommodements d’une indulgence qui fait bon marché de la vocation à la sainteté de tous les baptisés rappelée par Vatican II. Dans le premier cas, on tend à faire des dispositions nouvelles signifiées par Jésus en Mt 19 (« Est-il permis de répudier sa femme ? … Au commencement il n’en était pas ainsi… ») une loi qui, comme telle, reste impuissante de fait à surmonter l’épreuve vécue de l’inimitié surgissant dans un couple. Dans l’autre cas, on oublie que la radicalité évangélique n’est pas facultative, comme l’enseigne à tous, sans hiérarchie de saintetés, le Sermon sur la montagne…………………………………………………………………………………