« Retrouver le principe de synodalité »

Propos d'Anne-Marie Pelletier publiés sur le site internet La Vie, le 10 octobre 2018.

Nul doute que le pape François sache s’adresser avec résolution et totale franchise à la curie, aux évêques, au presbytérat. Chacun a en tête le mémorable inventaire des « Quinze maladies » qu’il dressa en décembre 2014 devant les cardinaux. Pourtant, en ces temps de trouble extrême, le fait est que c’est vers le « peuple de Dieu » qu’il se tourne en priorité : en mai de cette année, avec la Lettre au peuple de Dieu en marche au Chili, puis en août, avec une adresse à « tout le peuple de Dieu ».

La raison ? Certainement le fait que les victimes de la pédophilie sont des membres de ce peuple. Mais, non moins, semble-t-il, parce que pour le pape, c’est dans ce peuple que réside la réponse à la crise. Le choix qu’il fait aujourd’hui de privilégier ce destinataire a un sens ecclésiologique profond. Il est lié à sa conviction que nous ne pourrons surmonter dans l’Église le triple dévoiement des abus sexuels, de pouvoir et de conscience qu’en retrouvant le sens et l’équilibre d’une Église qui reconnaisse la juste relation du sacerdoce ministériel et du sacerdoce baptismal.

Depuis le début de son pontificat, François a multiplié les gestes et les paroles qui rendent visible et lisible la relation vraie entre l’un et l’autre sacerdoces, brouillée par une inflation d’un pouvoir sacré qui écrase la condition baptismale, que tous ont en partage, et qui fonde l’Église. Il n’a de cesse, d’Evangelii gaudium à Gaudete et exsultate, de rendre sa pleine stature au « peuple saint des fidèles de Dieu », en prolongeant l’ecclésiologie de Lumen gentium d’accents qui portent la marque de son franc-parler : « Nul n’a été baptisé prêtre ou évêque. Nous avons été baptisés laïcs… nous formons tous ensemble le peuple saint des fidèles de Dieu », rappelle-t-il dans sa Lettre au cardinal Ouellet sur les laïcs (mars 2016). Sans se lasser, il redit que tout baptisé est revêtu de l’onction baptismale, ce don insurpassable. Et il exhorte : « Ne vous laissez pas dépouiller de l’onction de l’Esprit. » Avec la même liberté, il déclare aux chrétiens du Chili: « L’Église a besoin que vous passiez votre permis d’adulte, spirituellement adultes, et que vous ayez le courage de nous dire : cela me plaît, ce chemin me semble être celui à emprunter, cela ne me va pas… » !

C’est cette intelligence retrouvée de l’Église qui constitue pour le pape l’antidote aux spiritualités de gourou qui gangrènent des communautés et aux pratiques de faux bergers. Rien d’autre, en fait, que l’affirmation de la première lettre de Pierre : « Vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis par Dieu. » C’est cette intelligence retrouvée de l’Église qui constitue pour le pape l’antidote aux spiritualités de gourou qui gangrènent des communautés et aux pratiques de faux bergers qui jouent d’une séduction perverse faisant leur proie des plus vulnérables. Pour s’exprimer positivement, c’est cette réalité de l’Église qui doit prendre corps dans des institutions renouvelées par le principe de la synodalité, ce « marcher ensemble » qui permet de faire converger les énergies spirituelles au service de la mission.

Reste à savoir si le peuple ainsi convoqué va répondre. Pour l’heure, la question est ouverte sans que la réponse soit tout à fait claire. Car il faut incontestablement du courage aux chrétiens pour surmonter cette forme d’apathie que produit la sidération devant les très mauvaises nouvelles qui se succèdent. Il leur en faut aussi certainement pour se déprendre d’un cléricalisme qui conduit certains à sacrifier à une sacralisation malsaine de la personne des prêtres, complice des pratiques de toute-puissance cléricale qui engendrent les scandales. Mais il leur en faut, et en faudra encore, pour entrer dans une maturité capable d’allier l’engagement de leur parole et de leur présence avec l’humble et passionné service de la communion dans l’Église. Car la conjoncture ne sera porteuse de fruits que si l’engagement des baptisés incorpore une estime vraie, fraternelle et concrètement manifestée de la vie sacerdotale. L’évêque de Saint-Dié, dans une récente lettre pastorale, exhortait ainsi son diocèse à l’estime de ses prêtres : « Chacun d’entre eux, avec son histoire, son visage, sa sensibilité humaine et chrétienne, vient signifier la fidélité indéfectible du Christ-Pasteur à son peuple. » L’objectif qui est devant nous est donc bien celui d’une Église où les laïcs existent en pleine stature d’onction baptismale, sans tomber dans les pièges d’une logique de rivalité et de concurrence.

Clercs comme laïcs, nous n’avons pas de recette pour purger nos relations des jeux du pouvoir et entrer, chacun à sa place, dans la pratique d’un service selon le Christ. Humainement parlant, nous avons quelques raisons d’être sceptiques sur les chances de promouvoir cette ecclésiologie renouvelée. Clercs comme laïcs, nous n’avons pas de recette pour purger nos relations des jeux du pouvoir et entrer, chacun à sa place, dans la pratique d’un service selon le Christ. Preuve que nous ne sommes pas dans le registre d’une stratégie, mais dans celui de la conversion. Ainsi, cette « heure des laïcs », qui est l’heure d’aujourd’hui aux dires du pape François, doit être une heure de conversion pour toute l’Église, sous l’aiguillon du drame que nous partageons. Nous devons donc nous y exhorter mutuellement sans faiblir dans la confiance. Le prophète Élie pourrait être ici notre saint patron. Le récit biblique nous le montre s’effondrant de découragement au milieu du désert, mais remis debout par Dieu en recevant de lui les moyens d’assumer la poursuite du chemin… jusqu’à l’Horeb. »

Anne-Marie Pelletier