« Marie, verus Israël et mère de l’Eglise »

Revue Christus, n° 183, 1999, p. 283-295, ré-édité dans le numéro spécial de Christus de Mai 2005.

Article d’Anne-Marie Pelletier:

Marie dans les Ecritures… Qui a fait un jour l’inventaire des versets qui parlent d’elle dans les Evangiles et le reste du Nouveau Testament n’a pas manqué d’être saisi. Quelques mentions regroupées presque toutes au début des évangiles de Matthieu et de Luc, deux scènes de l’évangile de Jean (Jn 2 et 19) qui mettent en scène « la mère de Jésus », c’est là le tout, avec quelques autres rares allusions, du témoignage des Ecritures à son sujet. Cette présence parcimonieuse fait évidemment un impressionnant contraste avec l’immense tradition de récits, d’images, de dévotions dont vingt siècles de christianisme ont paré la figure de Marie. Une interprétation simplement critique conclura aux effets d’une piété exubérante qui a fait proliférer les mots et les images, d’autant plus facilement que l’Ecriture restait sobre et discrète. Mais c’est là se suffire d’une pensée un peu courte. On peut estimer au contraire que, s’il en est ainsi, c’est que l’Evangile du Christ avait besoin pour prendre corps de ce centre silencieux, maternel, maternellement silencieux. Ce silence du cœur de Marie est comme la matrice de la Bonne nouvelle chrétienne. « Marie gardait en son cœur toutes ces choses », atteste le texte en commentaire des récits de l’enfance. Ces mots précisément ont inspiré à Vladimir Zielinsky la pensée que « la Tradition naît du silence de Dieu accumulé dans le cœur de Marie » et que l’évangile de Jean, ses lettres et aussi l’Apocalypse étaient « le silence du cœur de Marie « transformé » en paroles, « développé » en images… » 1 . Mais ce silence de Marie nous renvoie aussi vers son amont, en direction de la mémoire d’Israël, vers les siècles de la préparation, sans lesquels – l’Evangile l’atteste – il n’y a pas d’intelligence possible du mystère du salut. Pas non plus, donc, de connaissance plénière de Marie.

Cette attention aux enracinements de la mère de Jésus dans les textes bibliques reste aujourd’hui peu familière aux chrétiens, même si Lumen Gentium fait une bonne place à l’Ancien Testament dans sa méditation sur Marie dans l’économie du salut, même si le document que le groupe des Dombes consacra naguère à Marie2 évoque le témoignage des Ecritures. Alors que des voix juives (F. Mussner, S. Ben Chorin) s’élèvent pour dire leur proximité avec Marie, le christianisme connaît peu Marie comme fille d’Israël. Et quand on s’en préoccupe, il arrive que ce soit seulement pour prouver que Marie n’est qu’une figure de composition, faite de réminiscences de l’Ancien Testament destinées à donner consistance à un rôle qui historiquement aurait été insignifiant.

On voudrait suggérer ici, à l’inverse, que celle qu’honore la foi de l’Eglise n’est pas déduite des Ecritures d’Israël par le jeu d’un discours théologique, mais qu’elle est bien plutôt l’épanouissement d’une longue histoire qui implique celle des femmes d’Israël, qui engage aussi tout le travail de pédagogie spirituelle que représente l’élection et, finalement, l’espérance messianique, telle qu’elle s’est progressivement précisée au long des siècles qui mènent à l’Incarnation. On voit l’enjeu de ce parcours : si Marie est bien ainsi la perfection de l’Alliance, elle ne saurait plus être confondue avec l’emblème d’une féminité d’exception, mythique, dit-on volontiers aujourd’hui. En étant rendue à son peuple et à l’histoire de l’Alliance3 , elle nous ramène au plus universel de la vocation chrétienne et de l’identité de l’Eglise, à ce que tous, hommes et femmes, ont à vivre pour accomplir en eux l’image de Dieu qui rend l’humanité à sa vérité. ………………………………………………………..