Les chrétiens doivent être les gardiens de la confiance dans une société fragmentée
Lendemain d’élections, article paru dans La Vie, le 11 juillet 2024
A la grande peur de ces derniers jours de voir le RN accéder au gouvernement de la France, succède aujourd’hui le soulagement. Mais ce serait un piège de s’en tenir à ce dénouement. Ces jours difficiles nous pressent d’affûter le diagnostic sur les problèmes de notre société. Il y a naturellement ceux qui ont fait le lit aux deux extrémismes désormais installés à l’Assemblée nationale : marginalisation d’une partie des Français, régulation de l’immigration, islamisme radical, transformations sociétales déboussolantes, etc. Faute de prise en charge, ces questions seront le tremplin d’une accession du RN à l’Élysée dans trois ans. Mais il est un autre problème, transversal et majeur. Il tient dans un constat : la société française est aujourd’hui malade. Malade de sa fragmentation, de notre incapacité croissante à nous écouter et à nous respecter. Malade d’un lien social abimé par l’individualisme, par une pente au dénigrement compulsif, quand il ne s’agit pas d’hostilité hystérique se fixant sur tel ou tel bouc-émissaire. Triste indicateur de la gravité de notre mal, la plaie purulente de l’antisémitisme, qui s’étend comme un feu de brousse. À ce titre, la France insoumise de J-L Mélenchon, qui ne recule pas devant la provocation et n’hésite pas à attiser les clivages, doit nous inviter à la plus grande vigilance et surtout à la mobilisation des consciences. Face à un véritable processus d’autodestruction, il s’agit de réinventer un jeu social à la place de la foire d’empoigne, où l’autre est a priori un ennemi, de remplacer l’invective par le débat, de retrouver la dignité du compromis. Vaste programme, mais dont l’enjeu est vital et requiert tous et chacun. Donc les chrétiens, auxquels il revient aussi d’être les gardiens de la confiance, dans une société de la défiance, du scepticisme, qui penche souvent du côté du nihilisme.
Ces mêmes chrétiens devraient enfin se reconnaître en charge d’une lucidité plus vitale que jamais. Par construction, entendons, par la nature même du christianisme, un chrétien est censé voir un peu large, dilater son champ de vision, inscrire le présent au sein d’un temps plus long. Il ne s’agit pas d’évasion. Bien au contraire. Il s’agit de percevoir nos problèmes, avec réalisme, sous l’horizon de la vie du monde et de l’histoire qui se joue présentement à cette échelle. Or, la réalité est que l’Europe est en guerre sur son flanc Est, en Ukraine. Vérité désagréable, que le président Macron rappelle opportunément et que les Français ignorent largement. Durant la nuit même de ce 7 juillet où nous faisions nos bilans électoraux, la Russie de Poutine bombardait de nouveau Kyiv. L’armée russe touchait un hôpital pour enfants et faisait des dizaines de morts dans la ville. On le dit et on le répète, du sort de l’Ukraine dépend directement celui de l’Europe. Mais qui veut l’entendre ? Poutine félicitait Marine le Pen au soir du premier tour. Le même, expert en destruction et en chaos, pourrait bien trouver son compte, cette fois, dans une France à feu et à sang promue par les Insoumis. De plus, l’ordre poutinien ne cesse de pousser ses pions en regardant d’un bon œil un Trump prêt à reprendre du service et à potentialiser toutes les forces antidémocratiques qui travaillent l’Europe et, en l’occurrence, la France. Cette France, aura-t-elle assez d’hommes et de femmes pour oser rappeler ce fait, sans éluder les sacrifices que nous pourrions bien avoir à consentir demain pour faire face aux périls contre lesquels, déjà, les Pays baltes, la Finlande ou la Suède répondent par un réarmement courageux ? La menace, qui nous paraît aujourd’hui lointaine et irréelle, est à nos portes. Allons-nous laisser les Ukrainiens mourir pour notre défense en tournant en rond dans nos problèmes hexagonaux ? Plus que jamais l’Europe doit exister, cohérente, forte et solidaire. Et elle a besoin pour cela que nous soyons une nation responsable et rassemblée. Allons-nous sortir de la myopie, dont nous nous faisons un paravent pour nous consacrer à nos pugilats à intérieurs ?