« Jean-Marie Lustiger, le curé de Paris »

Conférence lors du Colloque Jean-Marie Lustiger, « Entre crises et recompositions catholiques, de 1954 à 2007 », du 12 au 14 octobre 2017, au Collège des Bernardins.

Présentation du colloque:

Coordonné par Denis Pelletier et Benoît PellistrandiOrdonné prêtre en 1954, Jean-Marie Lustiger déploie son ministère dans une conjoncture marquée par de profondes mutations. Aumônier d’étudiants (1954-1969), il prend la mesure des attentes de la jeunesse et des transformations en cours. Curé de la paroisse Sainte-Jeanne de Chantal à Paris (1969- 1979), il s’attèle à la mise en oeuvre du concile Vatican II. Nommé par Jean-Paul II évêque d’Orléans (1979-1981), puis archevêque de Paris (1981-2005) et cardinal (1983), il conduit son diocèse avec le souci d’une évangélisation et d’un rapport à la société renouvelés. Ces étapes de son ministère constituent autant de champs d’évaluation de son rayonnement. Archives inédites à l’appui, le colloque vise à articuler le regard des historiens avec les intuitions spirituelles et les choix pastoraux et missionnaires de Jean-Marie Lustiger.

Conférence d’Anne-Marie Pelletier :

1969-1979, telle est la séquence de la vie de JML, curé à Sainte Jeanne de Chantal, que je me propose d’interroger. Cette décennie n’a évidemment pas, dans sa biographie, le lustre et la visibilité des années d’épiscopat. Mais – telle est la conviction que je voudrais rendre sensible – elle a la vertu d’un verre grossissant qui manifeste quelques-unes des options de fond, spirituelles et pastorales qui, avec diverses modulations – ont guidé JML dans l’ensemble de ses ministères. Les sources permettant de rejoindre ces années, et relevant d’archives paroissiales, sont naturellement modestes. Matériellement, le lieu même a vu se succéder cinq curés depuis son départ en 1979 et ne conserve plus le souvenir de ses initiatives que sous forme de palimpseste, même si la Croix glorieuse en cuivre de Jean Touret et le Christ de la Résurrection dans l’abside, continuent à solliciter le fidèle ou le visiteur au point central de la confession de foi. Restent ces buttes témoins que sont l’écho de sa prédication dans les Sermons d’un curé de Paris publié en 1978 et dans le recueil d’homélies publié en 1981, Pain de vie et peuple de Dieu. A quoi s’ajoutent deux disques des chants liturgiques composés avec Henri Paget, l’organiste de Sainte Jeanne. Le récit que JML a fait lui-même de ces années, en particulier dans Le choix de Dieu, est évidemment un interprétant que l’on ne peut ignorer. Tout comme les analyses du Mémoire universitaire qu’André Vingt-Trois, alors jeune vicaire dans la paroisse, rédigea en 1972, et qui restitue l’histoire des débuts d’Agir par la foi, ce dispositif qui commanda la pastorale de ces années, et sur lequel je reviendrai. Je m’appuierai aussi sur la mémoire narrative contenue dans des textes biographiques publiés depuis la mort du cardinal, ainsi que dans le corpus d’interviews de témoins des années Ste Jeanne, recueillie par l’Institut Jean-Marie Lustiger. L’objectif est de ressaisir, à travers la polyphonie de ces narrations, quelque chose de la logique profonde – théo-logique – d’un ministère, dont nous sépare désormais presque un demi-siècle. Pour ce faire s’impose le préalable d’une contextualisation, même brève. Outre l’insertion de cette décennie dans le cursus de la vie de JML – après les années du centre Richelieu, puis du CEP, et avant l’ordination épiscopale de novembre 1979 – la référence au monde ambiant des années 70 doit être convoquée. Elle semblerait devoir se ramener, dans l’expérience et la mémoire de JML, au constat, comme il dit pudiquement, d’« années difficiles ». En fait l’expression couvre plus de complexité. On se trouve certes alors dans le sillage des événements de 1968 et de l’idéologie libertaire qui bouscule profondément les mœurs et déstabilise les institutions, sans épargner l’Eglise. JML résiste vigoureusement aux dérives du moment. Ne serait-ce que dans sa manière d’aborder son ministère comme celui d’un « curé » de paroisse, alors que la mode en fait un « responsable d’équipe pastorale »… Le titre des Sermons d’un curé de Paris déclare discrètement sa protestation. De même, contre les pastorales de milieux ou de classes d’âge, il continue à affirmer la pertinence de l’entité « paroisse » en invoquant des enjeux spirituels incongédiables. Cependant, pour chahutées qu’elles soient, ces mêmes années sont aussi et d’abord celles du vaste labeur de réception du concile Vatican II, qui s’est achevé quatre ans avant l’arrivée de JML dans sa paroisse. Certes, la conjoncture comporte des périls, elle favorise les confusions : telles deux vagues qui se suivent et se rejoignent, l’événement sociétal et l’événement ecclésial mêlent plus d’une fois leurs eaux en ces années 70. De là des brouillages et des initiatives hasardeuses. Il reste que, comme dans la parabole, c’est le mélange qui est la vérité de ce moment. Les risques qu’il comporte vont avec la chance d’une revitalisation de la vie chrétienne. La paroisse Ste Jeanne témoigne de cette chance et de l’énergie communiquées par les grandes constitutions conciliaires. …………………………………………………………………..